Seuls 11% des masses d'eau de la région sont en bon état écologique.
L'eau, un enjeu de société.
Une série spéciale de la Fédération des radios associatives en pays de la Loire.
Devant le chantier du seuil de Bellevue en Amont de Nantes, Yves Ménanteau et Jacques Birgan,
du comité pour la Loire de demain, détaillent ce projet titanesque de restauration des dommages
causés aux fleuves au 19e et 20e siècle.
Alors Yves, la préoccupation ?
C'est de rétablir les fonctionnalités naturelles du fleuve.
Il y a eu beaucoup de transformations, il y a eu dix ponts qui ont été construits.
Ce ne sont pas seulement les ponts qui ont perturbé l'équilibre, mais c'est surtout les levées
d'accès. qui ont barré transversalement le fleuve, surtout lors des crues.
Cette loire-là, elle a été aussi expérimentée pour la loire navigable.
Donc, entre Bushman et Nantes, il y a eu près de 700 épis qui ont été faits, des digues de fermeture
pour les bras, et finalement, ça a déjà commencé à bouleverser l'équilibre du fleuve.
Dans le même temps, il y a eu l'aménagement de l'estuaire.
L'estuaire a été endiguée en entonnoir, si bien qu'on peut dire qu'entre Nantes et Angers, le
lit s'est vidé de 3 à 4 mètres de sable dans le chenal.
Le programme de rééquilibrage du lit de la Loire, validé en 2015, dispose d'un financement partagé
entre l'Agence de l'eau, la région des Pays de la Loire, le Fonds européen et Voies navigables de France.
Coût du projet, 42 millions d'euros.
Le Maine-et-Loire porte son nom, la Loire-Atlantique porte son nom, la région des Pays-de-la-Loire porte son nom.
Je pense qu'il faut faire quelque chose pour préserver ce patrimoine majeur.
Je pourrais dire comme une pub de L'Oréal, elle le vaut bien.
Après les travaux de 2025 est prévue une phase d'observation.
Jacques Birgan, du comité pour la Loire de demain.
C'est le suivi de l'évolution du biotope, de la biodiversité, de la qualité de l'eau.
Très très important, bien sûr, puisque la ressource en eau, c'est quand même 550 000 habitants
qui sont arrosés par les eaux de Loire.
Je voulais dire pour l'eau que les deux tiers des habitants de Loire-Atlantique sont tributaires
des eaux de la Loire.
Et en Maine-et-Loire, c'est encore pire, c'est 70%.
Donc ça veut dire que cette ressource en eau, c'est vraiment la priorité qui a été choisie pour l'avenir.
Bellevue va permettre, et les épis également, qui vont être remodelés, vont permettre de rehausser la ligne d'eau.
La Loire pourra mieux inonder ses annexes latérales, c'est-à-dire les bras, les boires, les
marais, et il y aura une meilleure biodiversité, beaucoup plus de production de plancton, et
une meilleure épuration de l'eau, une meilleure qualité de l'eau, ça permettra aussi d'avoir à la
Loire une meilleure résilience contre les aléas climatiques qui sont en vue.
Nous on ne travaille pas pour nous, bien sûr on travaille pour vos générations et les générations des petits.
Un chantier concentré sur l'avenir donc, avec une attention particulière apportée à la protection
de la biodiversité, ce dont se félicite Yves Menanteau du comité pour la Loire de demain, particulièrement enthousiaste sur le sujet.
Alors Yves, à propos de l'environnement, tu as un petit peu quelque chose à nous dire ?
Pour l'instant, tous les aménagements qui ont été faits sur la Loire ont été réalisés au bénéfice des hommes.
Au départ, les premières levées, c'était pour lutter contre les inondations de la vallée.
Après, les épis, c'était pour la navigation.
Et là, c'est la première fois qu'il est entrepris un grand programme uniquement pour rétablir les fonctionnalités du fleuve.
Il y a beaucoup d'enjeux qui font que ce programme est vraiment important.
Il y a le patrimoine paysager.
Notre Loire spécifique, c'est une Loire des îles.
Or, s'il n'y a pas de bras, s'ils sont asséchés, il n'y a plus d'îles.
Le patrimoine aussi culturel, de voir les cales, les quais qui se déstabilisaient à cause de leur assèchement prolongé.
Il y a aussi des enjeux pour l'agriculture ivraine.
Les joncs ont été remplacés par des chardons.
Vous parlez de la flore et au.
Niveau de la faune, comment ça va ?
La faune, à cause de ce bouversement, il y a eu beaucoup d'espèces typiques qui se sont rarifiées.
Il y a le traquetarié, puis il y avait aussi un oiseau emblématique qui s'appelait le râle des genêts.
Le râle parce qu'il fait...
Et bien maintenant, il a complètement disparu de notre région.
Un projet de rétablissement d'espaces naturels qui marque de fait une nouvelle philosophie dans la gestion du fleuve.
Pensée locale, un enjeu de société. Nathalie Carcot, bonjour.
Vous êtes professeure de géographie à l'Institut Agrorène Angers et membre du Laboratoire Espaces et Sociétés à Angers.
Tout à fait.
Vos recherches s'inscrivent dans le champ de la géographie du paysage, en particulier la géohistoire
des paysages fluviaux, c'est-à-dire que vous remettez les paysages dans leur contexte historique
pour comprendre la manière dont ils se sont construits.
À ce propos, qu'en est-il de la Loire, justement ?
Alors déjà ce qu'il faut avoir de présent à l'esprit c'est que la Loire c'est le plus grand bassin versant français.
Et en plus, c'est un bassin versant qui recouvre des espaces qui sont différents, ce qui va
donner une spécificité à ce fleuve.
Je dirais que c'est un bassin versant qu'on peut dire composite, tant dans ses sources en eau
et en alluvion, que dans les formes de relief qu'il traverse.
Par exemple, pour les sources en eau, il y a trois principales sources sur la Loire. qui se
réunissent autour de ce qu'on appelle un bec.
C'est-à-dire qu'il y a un vocabulaire aussi spécifique au fleuve.
Un bec, c'est une confluence.
Et le premier bec, c'est celui du bec d'Allier qui se trouve à Nevers.
Et là se retrouvent les deux premières sources de la Loire qui sont celles de l'Allier et celles
de la Loire et qui prennent naissance en fait dans une partie du massif central qui est le massif des Cévennes.
Un massif du massif central qui a plutôt un climat méditerranéen.
Et ça va donner une des premières spécificités du régime, c'est-à-dire des rythmes d'écoulement
sur la Loire, des écoulements qui sont irréguliers, sous influence méditerranéenne.
Donc ça c'est les premières sources.
Après arrive un deuxième grand bec, c'est celui de la Touraine, dont vous connaissez certainement les affluents.
C'est le Cher, l'Indre et la Vienne.
Et avec l'arrivée de ces trois rivières, ces trois affluents, le débit de la Loire double quasiment.
mais ce sont d'autres rythmes d'écoulement parce qu'en fait là cette fois-ci c'est des rivières
qui prennent leurs sources dans un massif central qui est plus océanique donc avec une plus
grande régularité des apports tout au long de l'année.
Donc tout ça se mélange autour de tour donnant une certaine originalité au fleuve et le fleuve
va encore devenir plus originel à partir d'Angers avec le bec de Maine.
Le bec de Maine qui amène cette fois-ci les affluents qui se retrouvent dans la Maine, la Sarthe,
la Mayenne et le Loire, qui eux viennent en gros de Normandie et des plateaux sédimentaires
du nord-ouest de la France, avec cette fois-ci un régime qui est typiquement océanique, donc
une grande régularité des écoulements tout au long de l'année.
Pour résumer, une fois qu'on passe le bec de Maine et qu'on se retrouve dans la Loire armoricaine,
on a un fleuve très composite, très complexe dans ses rythmes d'écoulement parce que ça va être
un mélange de ces trois sources principales.
S'ajoute à ces sources d'eau, à ces apports d'eau, le chemin que parcourt la Loire et là encore,
quelle est sa spécificité ?
En amont c'est le massif central, au milieu c'est le bassin de Paris, dans la Loire des Châteaux,
qu'on appelle la Loire des Châteaux, et puis on avale à partir d'Angers.
C'est le massif armoricain, avec ses contraintes structurales qui vont donner des formes spécifiques.
Donc vous voyez tout ça, ça crée un fleuve composite avec des paysages très originaux.
En effet, le bassin versant de la Loire est le plus grand de France, vous l'avait dit Nathalie Carcot.
Il recouvre un cinquième du territoire métropolitain, étendu sur huit régions, 32 départements.
J'imagine que toutes ces spécificités, elles ont dû avoir des influences sur la façon dont l'homme
a perçu et apprivoisé ce fleuve majeur.
Oui, tout à fait. Le Val, c'est une forme qui a été décrite par un géographe qui s'appelait
Roger Dion, qui caractérise cette forme dans un ouvrage qu'il a appelé « Histoire des levées
de la Loire ». qui a été publié en 1961.
Il caractérise l'originalité du lit de la Loire, constitué d'une plaine d'inondation et du lit
de la Loire qui est en fait décentré.
Il est pas au milieu de cette grande plaine.
Il est toujours le long d'un coteau, permettant en fait, sur l'une des rives, l'apparition d'un
grand épanouissement de la plaine. qu'il appelle le Val.
Et ces Val, très vite les sociétés, c'est à partir de la période médiévale, ont essayé de l'aménager,
et en particulier de s'isoler de l'inondation de la Loire.
Et le moyen qu'ils ont trouvé, c'est de construire des digues, donc au départ qui étaient assez localisés.
Ces digues, au départ on les a appelés des turcies.
Progressivement, elles se sont généralisées sur les valles.
Les plus anciennes Turcies connues sont sur le Val de Tour, le Val d'Orléans, mais aussi sur
le Val d'Otion, qui est le plus grand Val de Loire.
Il fait une centaine de kilomètres de long pour une dizaine de kilomètres de large.
C'est quand même très grande ampleur.
En l'occurrence, sur le Val d'Otion, les Turcies y ont fait référence à partir du XIe siècle.
et progressivement elle se généralise à partir de l'époque moderne, du XVe-XVIe siècle. les
consolider, les surélever, pour en faire ce qu'on appelle aujourd'hui des levées insubmersibles.
Et ça, par exemple, ce sont des aménagements anciens qui sont maintenus dans la durée avec pour
objectif que de valoriser la plaine d'inondation.
Et ça a eu des conséquences certaines sur l'écoulement de la Loire, en réduisant son lit d'inondation.
Aujourd'hui, le lit de la Loire ne comprend plus ses vales puisqu'ils sont, pour la plupart,
vous venez de le dire, endigués.
C'est ici un exemple assez parlant de la façon dont un fleuve change au cours du temps en fonction
de l'activité humaine et notamment de la perception qu'a l'homme du paysage et de la façon dont
il peut exploiter ses ressources.
Cette perception intègre petit à petit les questions de biodiversité.
On sort d'un paradigme de pure exploitation économique pour intégrer de nouvelles problématiques
et mener des projets de restauration. Pourquoi, Nathalie Carco ?
En fait, aujourd'hui, pour moi, il y a une forme de prise de conscience du fait que ces ressources
ne sont pas illimitées, qu'elles sont très vulnérables et que le vivant ne sait pas que c'est
société humaine. à d'autres formes de vivants et qu'un fleuve c'est un espace avec une diversité
de vies en son sein et avec des enjeux dont on ne mesurait pas les conséquences. encore assez
récemment finalement, de tous les aménagements et de tous les prélèvements qu'on peut faire,
des conséquences qu'on ne mesurait pas.
Et donc ces prises de conscience peuvent créer une forme de culpabilité sociétale, disons, c'est
de là que viennent les termes, de restauration, avec l'idée peut-être de réparer en fait.
Parfois on parle de renaturation.
Et la restauration, autant Pour moi c'est un terme qui a du sens.
Autant renaturation, ça me semble erroné, parce qu'il y a bien longtemps qu'en Europe occidentale,
les paysages ne sont plus des paysages naturels.
Par exemple sur la Loire, moi j'ai travaillé en géoarchéologie avec des spécialistes de l'histoire
de la végétation, qui travaillent sur les pollens.
Et on montre que la présence des sociétés dans la vallée de la Loire, elle est très ancienne.
On montre qu'il y a une présence des sociétés, des productions de céréales notamment, depuis
le néolithique dans la vallée de la Loire.
Et les transformations, elles vont devenir irréversibles à partir de l'époque romaine. Donc 2000 ans.
Et ensuite, les sociétés, elles n'ont fait que complexifier le fonctionnement.
Donc tout ça pour dire que renaturer, ça semble Impossible.
D'autant qu'un fleuve, c'est un organisme dynamique et qu'il n'y a pas d'état de référence figé.
Et que traduit l'état des fleuves en France sur la question de la gestion de l'eau ?
Là-dessus, ce que j'aurais tendance à dire, c'est que le fleuve, c'est une forme d'expression
de ce qu'on appelle le cycle de l'eau.
Le cycle de l'eau, c'est donc la circulation de l'ensemble de la masse d'eau entre l'atmosphère et la terre.
Le fleuve en est une expression, une décomposante.
Et donc, quand on observe un fleuve, on observe le cycle de l'eau.
En d'autres termes, c'est le reflet de l'état du cycle de l'eau et des prélèvements que les sociétés peuvent faire.
des nuisances qu'elles peuvent produire sur ce cycle.
Donc c'est extrêmement important parce que prendre soin du fleuve c'est prendre soin du cycle
de l'eau et prendre soin de soi quelque part.
Et bien ce sera une jolie phrase de fin.
Merci beaucoup Nathalie Carco d'avoir apporté cet éclairage pédagogique et scientifique sur
les spécificités et l'importance du fleuve de la Loire.
C'était L'Eau, un enjeu de société.
Une série spéciale de La Frappe, en partenariat avec Terre des Sciences, avec le soutien de
la région des Pays de la Loire.